30 oct. 2012

Écrire & Fumer (18)

J’ai parlé tout à l’heure des « rares femmes » à bord du Tsibalt, elles étaient au nombre de deux. Il y avait Bénédicte de Gorges dite « Biceps ». Elle était biologiste. Biceps partageait une cabine avec cette climatologue qui avait soutenu que la limitation des gaz à effet de serre ne servait à rien, Linda Zenakis. Sa mission avait quelque chose à voir avec le vortex polaire. Biceps, pour sa part, était spécialiste de la Balaenoptera musculus intermedia, autrement dit, c’était une spécialiste de la baleine bleue de l’Antarctique. Le dernier membre de l’expédition à bord du Tsibalt était Simon Robert, un géologue que Tommaso, bien que son cadet, ne cessait de qualifier de puceau.
Partageant la cabine de Robert et de Holle, le cerveau de Phil ne pouvait pas contredire Tommaso sur ce dernier point. Le mécano et le géologue avaient la même passion pour les magazines de cul. Ils ne parlaient que de surprendre Biceps et Linda Zenakis à poil dans les douches. Ce qui pouvait s’entendre pour Biceps, mais qui devenait tout à fait extravagant s’agissant du corps hommasse de la climatologue. C’est cet aspect, sans doute, qui avait laissé entendre à Tommaso que le géologue était puceau (quant au mécano, le planctologiste ne se serait pas risqué à le traiter de quoique ce soit).
Au total, dix-sept individus coexistaient à bord du Tsibalt. En temps normal, le navire pouvait embarquer 48 personnes, mais cette expédition n’avait rien de normal.
Le repas fut donc servi à 19 heures. Ils étaient comme d’habitude onze convives, le capitaine étant dans sa cabine, le bosco Hallgrims et le matelot Fribourg sur la passerelle, et le matelot Le Marchand au service à table. L’osso bucco fit l’unanimité moins une voix. Après une salade de fruits en conserve et quelques cigarettes russes saturées d’humidité, le second Erik Hansen réclama l’attention de ses commensaux.

29 oct. 2012

Écrire & Fumer (17)

Une fois, Teufel s’était opposé aux directives de Hansen, arguant qu’il ne recevrait d’ordre que du Pacha en personne (Teufel était un ancien de la Marine Nationale). Le docteur Wodel avait emboîté le pas au chef mécanicien et avait prétendu qu’il était de son devoir de médecin du bord d’examiner Cosme pour apprécier si son état physique et mental était compatible avec le commandement d’un brise-glace lancé sur les eaux glaciales de l’Antarctique.
Le second capitaine Erik Hansen, qui n’était pas un mauvais bougre, n’essaya pas de les convaincre de sa loyauté. Il fit ce que ni Wodel ni Teufel n’avaient véritablement anticipé. Il les invita à se rendre dans la cabine du capitaine Cosme.
En ressortant de la cabine, Teufel et Wodel étaient livides. Livides, et les vêtements imprégnés de la même odeur de tabac froid que le second.
Le capitaine Cosme était en pleine capacité à commander le navire, assurèrent-ils. La vigueur de son esprit allait au-delà de celle qui aurait été la marque d’une intelligence supérieure.
Le capitaine Cosme était l’incarnation de l’Esprit. Son aspect physique dégageait un sentiment de force et de sécurité plus qu’aucun autre homme du bord. Wodel n’avait pas eu à sortir les ridicules oripeaux de sa profession pour juger que la santé de cet homme était à toute épreuve et que sa complexion était celle d’un immortel (bien que l’homme eût une consommation immodérée de cigares : l’air de sa cabine était saturée de fumées bleues). Mais lui comme Teufel étaient sous le choc.
Ils ne surent dire si la violence de l’impression était due au tatouage qui couvrait l’entièreté du visage du capitaine Cosme ou si l’officier avait laissé sur leurs âmes l’empreinte brûlante de son autorité naturelle. Quoiqu’il en fût, ils ne remirent plus en question la loyauté d’Hansen et se félicitèrent de n’avoir pas à côtoyer un homme comme le commandant du Tsibalt. L’exotisme a ses limites.
Dave avait conclu l’affaire par un « ’ain » sans appel et on était passé à autre chose.

26 oct. 2012

Écrire & Fumer (16)

Le capitaine Cosme, commandant le brise-glace Tsibalt, était le plus exotique des officiers de marine marchande croisant dans les mers australes. Mis à part Dave et le second capitaine Hansen, personne à bord ne pouvait prétendre l’avoir jamais vu, personne ne pouvait encore moins prétendre le connaître.
Hansen et Dave réagissaient sur des modes différents lorsque l’équipage tentait de leur tirer les vers du nez. Dave, conforme à son habitude, n’émettait que des sons monosyllabiques. La syllabe la plus usitée était un « ’ain » sec et guttural voulant peut-être dire « putain ».
Sauf lorsqu’on abordait la question du capitaine. Dave lâchait alors un « han ! » franc et audible. Ne va toutefois pas croire que Dave était muet ou incapable de prononcer autre chose que des « ’ain » ou des « han ! ».
Sa voix était très belle. Les rares femmes du bord profitaient du moindre prétexte pour squatter le poste de commandement. Elles guettaient le moment où le second proclamerait « Monsieur David, barre à gauche 5 », le timonier laconique confirmant alors : « la barre est 5 à gauche, commandant » avec la voix de Marlon Brando dans L’Homme à la peau de serpent.
Hansen était semble-t-il celui qui passait le plus de temps avec le capitaine (Dave n’ayant qu’un rôle de majordome, il lui apportait ses repas et s’occupait du linge). Cosme ne mettait jamais les pieds sur la passerelle. Lorsque le second n’était pas de quart, la manœuvre revenait au lieutenant Gombrich qui ne recevait jamais ses ordres directement de Cosme. Les autres timoniers de quart étaient les matelots Duchemin, Le Marchand et Fribourg (des Fécampois) et, comme Dave, occupaient le reste de leur temps à briquer le pont, servir à table ou faire de menues réparations. Les autres membres d’équipage étaient le bosco Hallgrims, le chef mécanicien Teufel, le mécano Holle, l’officier radio Karl Sibert et un médecin neurasthénique nommé Wodel.
Hansen ne tolérait pas qu’on aborde le sujet du capitaine Cosme à la légère. Wodel et Teufel en étaient venus à spéculer que le second tenait le capitaine enfermé dans sa cabine et, comme le traître Alan dans Le Crabe aux pinces d’or, l’alimentait en substances psycho-actives dans le but scélérat de le maintenir hors de son commandement.

25 oct. 2012

Écrire & Fumer (15)

Mon corps a simultanément compris à qui le gars s’adressait et qu’il ne pouvait pas se laisser insulter, sans aucun motif, par un inconnu.
Mon corps s’est retourné. L’autre était dix pas en arrière. Mon corps a dit, plus étonné qu’en colère : « C’est quoi le problème ? ».
Le gars a jeté sa veste de sport au sol. Il s’est dirigé vers mon corps avec l’intention très marquée de lui pulvériser la gueule. « J’ai la rage ! Toi t’es rien, t’as pas la rage ! ». Et il avait raison. Je n’avais pas la rage.
Un affrontement aurait été, dans ces conditions, très en défaveur de mon corps. Il n’était pas en condition pour se battre contre un enragé. Mon corps a tourné les talons et repris sa marche.
Je m’attendais à recevoir un coup de poing dans la nuque ou un violent choc dans les reins (d’autant que le gars revenait vers mon corps à en juger les « me tourne pas le dos sale pédé ! », « enculé ! » et autres invectives peut-être révélatrices de son petit problème narcissique).
L’idée m’est venue d’ordonner à mon corps de courir mais je m’y suis refusé. Je me disais deux choses. La première était qu’il fallait agir comme avec les chiens, ne pas lui laisser sentir que mon corps avait peur. La seconde était que, si mon corps devait l’affronter sur un pied d’égalité, il fallait que la rage vînt aussi en lui, et, pour cela, je comptais sur un premier coup que le gars me donnerait en traître pour le stimuler.
Le fait est qu’il ne m’a pas suivi dans la rue d’Elbeuf. Je suis donc rentré chez moi et j’ai allumé mon ordinateur.
Mon Dieu, je n’avais encore jamais fait le calcul, mais cet individu a raison, voilà une année pleine que mon cerveau s’est détaché de mon corps. Lorsque j’ai entrepris la rédaction de ce mémoire, je n’envisageais pas qu’il pût être un jour lu par un autre que toi (ce « toi » n’est que fiction puisqu’en admettant même que tu aies connaissance de cette entreprise, je doute que tu aies jamais la patience d’aller jusqu’ici). J’ai longuement regardé le commentaire du 20 octobre. Il ne m’était pas apparu, non plus, que je pusse dormir en cet instant si particulier de ma vie.
La perspective de n’être jamais lu n’est pas triste, ni désespérante. Je dois même dire que cela m’enchantait de savoir les heures, les années passées à écrire, s’envoler dans le ciel, comme les morts de notre enfance.
J’ai allumé une cigarette et j’ai répondu.

hok
        HOK

                        hok

20 oct. 2012

Écrire & Fumer (14)

Mon corps était hier au centre commercial. Pour acheter des chaussettes et des caleçons (de type boxer). Ces achats peuvent surprendre de la part d’un corps qui n’a plus vraiment toute sa tête.
Mais tu n’es pas dupe, n’est-ce pas, tu sais parfaitement ce que cela signifie.
Alors pourquoi ne pas rester avec des chaussettes trouées et des boxers râpés ? Simple considération esthétique, peut-être, ou éthique (ce qui revient au même)… Je n’ai aucune intention de mépriser mon corps et de le traiter par dessus la jambe, sous prétexte que son cerveau l’a déserté. Si mon cerveau s’est fendu d’une parka fourrée orange à bord du Tsibalt, mon corps peut bien s’acheter une poignée de paires de chaussettes et de caleçons taille L.
Je le redirai bientôt, mon corps n’a pas beaucoup d’idées. Mon corps se garde donc d’avoir un avis sur tout. Concernant les chaussettes et les caleçons, mon corps se limite aux choses ternes et classiques, banales, ce que tu appellerais les basics.
Dès l’entrée du magasin, mon corps fut frappé par la tenue atroce d’une vendeuse.
La pauvre étant probablement obligée, par contrat, d’être un miroir de la mode féminine du moment, mon corps a d’abord cru que ce n’était pas le choix de la vendeuse de porter des pantalons informes, courts et serrés aux mollets, à l’entre-jambes lâche, aux cuisses ballotantes. Son « haut » (une chemise ?) était un virulent manifeste contre l’idée de forme, quelle qu’elle soit, puisqu’il tenait plus du sac troué aux bras et à la tête. Le tout était « coupé » dans des tissus imprimés que mon corps n’aurait pas souhaités aux fenêtres de mon pire ennemi.
Mon corps a ensuite vu une autre vendeuse vêtue d’un combi-short. Un combi-short. Est-ce bien le terme ? C’était un bleu de travail passé à l’eau Daquin, porté sur un collant, coupé et échancré au niveau de l’aine, avec des manches chauve-souris.
Elles n’avaient pas l’air malheureux, ces petites vendeuses, ce qui a fait dire à mon corps qu’à quarante ans, étant devenu un vieux con, il ne comprenait plus rien au monde que mon cerveau regardait, avec bonheur, disparaître derrière la ligne de l’horizon antarctique.
Ce n’était certes pas la première fois que mon corps remarquait que les femmes s’habillaient de façon étrange (n’y vois aucune attaque, tu as toujours été d’une parfaite élégance). Mais là, dans ce magasin, ce fut une révélation : il me confirma que mon cerveau avait eu raison de quitter un monde où les créateurs de mode étaient de jeunes psychopathes au nez poudré de cocaïne, des types défoncés au champagne à l’arrière d’un Hummer de milliardaire russe roulant comme un dingue dans les rues boueuses d’une ancienne république soviétique, des escrocs surpayés flashant sur des femmes fagotés de fringues bariolées récupérées dans les poubelles des années quatre-vingt.
Mon corps se pressait donc de rentrer à la maison, muni de ses achats, quand il arriva peu avant l’angle des rues Couture et d’Elbeuf.
Le gars, que je n’avais pas vu venir, s’est écrié avec rage : « J’ai une sale gueule mais j’ai un putain de beau corps ! ». Le gars tenait son tee-shirt au-dessus du nombril et exhibait un ventre bronzé, soigneusement bodybuildé, l’ensemble pouvant être comparé, sans exagération, à une « tablette de chocolat ».
Son visage n’était pas hideux, ses cheveux longs étaient tirés en arrière par une sorte de serre-tête à la façon de certains footballeurs, mais quoiqu’il en soit, mon corps n’avait pas encore réalisé que le gars s’adressait à moi.
Il est vrai que mon corps ne pouvait tenir la comparaison avec le sien. Mon corps pèse quatre-vingts kilos pour un mètre quatre-vingts (je n’ai jamais fait de sport), et, sans être gros, mon corps a du bide, tu le sais bien. À ce stade, il n’y avait donc rien à redire, et, si le gars lui en avait laissé la possibilité, mon corps aurait convenu qu’il disait vrai pour ce qui était de la comparaison du sien et du mien, mais qu’il se trompait certainement pour le visage.
Les choses sont allées très vite, et, je te le rappelle, mon cerveau était loin de cette rue Couture que mon corps s’apprêtait d’ailleurs à laisser pour remonter la rue d’Elbeuf jusqu’à la maison.
Le temps qu’il réalise que le gars s’adressait à moi, le gars m’avait dépassé. Ce qui ne l’empêchait pas de hurler : « T’as un faux corps, t’as une fausse tête, je t’emmerde ! ».

19 oct. 2012

Écrire & Fumer (13)

Pour le coup, ce fut le cerveau de Phil qui se mit à bouillonner. Ce gamin (le planctologiste avait quinze ans de moins que le cerveau de Phil) lui donnait à présent des leçons de vocabulaire. Le cerveau de Phil ressentit un besoin impérieux de se prendre une dose de nicotine. Il passa instantanément de la colère à la joie la plus primesautière. C’était la première fois de sa vie qu’il avait vraiment envie de fumer. C’était un miracle. Il allait enfin devenir un vrai fumeur !
Le cerveau de Phil se prit à sourire. De toutes ses dents. Tommaso recula d’un pas, prêt à parer un coup.
« Je crois que je vais m’en griller une, ça te dit ?
Tommaso souleva un sourcil.
— Je ne fume pas, dit-il, toujours sur la défensive.
— Tu as tort (le cerveau de Phil leva le doigt de manière sentencieuse), car comme dit Sganarelle dans le Dom Juan de Molière, « Quoi que puisse dire Aristote et toute la Philosophie (Phil-en-entier avait tenu le rôle en 1986, au club théâtre du lycée), il n’est rien d’égal au tabac : c’est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l’on apprend avec lui à devenir honnête homme. »
— Et cet enculé de Poquelin a palpé combien de la British American Tobacco pour chier cette daube ?
Le cerveau de Phil ne se laissa pas démonter. Il était sûr que Tommaso ne connaissait rien au sens du mot daube.
— Je n’ai jamais compris comment un mode de cuisson à l’étouffée a pu tomber dans le registre argotique pour désigner… euh… quoi déjà ?
— Logique. De la cuisine on est passé à la chimie de la drogue, et de la drogue on est naturellement passé à merde, dit Tommaso avec flegme tandis que le cerveau de Phil ouvrait le placard où il savait avoir stocké sa réserve de tabac à rouler.
— Mais on aurait pu tout aussi bien passer directement de la cuisine à la merde…
Rien ne pouvait plus entamer le moral du cerveau de Phil. Il tourna la tête vers Tommaso et lui fit un sourire narquois lui signifiant qu’il ne tomberait pas dans le panneau cette fois-ci. Tommaso devint livide. Le cerveau de Phil l’interrogea du regard.
— La termitière est dans ton placard », articula Tommaso.
Des milliers de fourmis blanches grouillaient sur les verres et les assiettes. Cela fourmillait littéralement de termites. Les bestioles blanches couvraient tout et le tout se contractait et se dilatait comme la peau des couilles au contact d’un chaud et froid. Sous ce grouillement dégoûtant, le cerveau de Phil reconnut l’emballage jaune d’un des cinq paquets de tabac à rouler. Le blister plastique et la pochette en papier étaient déchiquetés.

17 oct. 2012

Écrire & Fumer (12)

Dave se redressa, raide comme un « i » devant le joystick qui lui servait à manœuvrer le navire (on vit le titre du roman : L’étrange agonie). Il regardait Phil comme si ce dernier venait de provoquer une mutinerie et qu’il était question de le jeter à la mer.
— Monsieur Thevet, trouvez la colonie et détruisez-la, ordonna le second.
Tommaso attrapa le cerveau de Phil par le bras et le fit sortir de la passerelle. L’océan n’avait plus rien d’un décor en carton peint. L’étendue grise était hérissée de crêtes écumeuses et de plaques de glace à la dérive. Le ciel était de la même teinte grise, quoiqu’un ton plus clair. La température avait chuté à moins quinze degrés et un vent violent se levait.
— Le navire est en acier ! dit le cerveau de Phil comme s’il avait trouvé la solution au problème des termites, une solution à laquelle ces marins expérimentés n’avaient pas pensé.
— Baisse la tête, dit Tommaso, regarde tes pieds.
— Quoi, mes pieds ?
Le cerveau de Phil baissa les yeux et vit que le pont était en teck.
— Mais c’était de l’acier !
— On n’est pas sur un vrai brise-glace, coco, tiqua Tommaso. Ce bateau sort de ton cerveau à la con et je dois dire que tu n’as pas vraiment pris la peine de te documenter avant de nous enrôler sur cette épave. Je me demande comment on a pu survivre au passage de Drake. Tes termites vont nous bouffer le moindre centimètre cube de bois qui couvre ce navire. C’est sûr, il ne va pas couler. La double coque est en acier, mais les termites vont réduire en poussière les ponts, les cloisons et les portes, mais surtout, elles font bouffer tous les putains de câbles électriques ! »
Une grosse houle d’ouest se mit à faire tanguer le Tsibalt. Le cerveau de Phil vit les trois cocottes Seb glisser sur le pont et se fracasser contre le bastingage. On aurait dit trois pierres de curling lancées par un trio d’Écossais alcoolisés.
« Qu’est-ce qu’elles foutent dehors tes cocottes ? Tommaso avait les yeux comme des billes.
— La vapeur ! J’allais quand même pas embuer la cambuse !
— Tu sais que tu peux passer le couvercle sous l’eau froide…
Tommaso et le cerveau de Phil saisirent chacun une cocotte et rentrèrent dans la cambuse. Le cerveau de Phil ressortit et revint avec la troisième, qu’il posa sur la gazinière, vexé que Tommaso, ce primate de la gastronomie, ce bouffeur de barres chocolatées Lion et de babybel, se permette de lui donner des leçons de cuisine.
— Bon, explique-moi en quoi cette foutue termite n’est pas une franc-tireuse isolée à des milliers de kilomètres de sa colonie ! Et qu’est-ce qui prouve d’abord qu’elle a embarqué dans mes jardinières et pas dans l’un de vos trous du cul de scientifiques ?
— C’est quoi la fumée qui sort de cette casserole ?
— Merde ! Merde ! Merde !
Le cerveau de Phil souleva le couvercle avec un torchon et vit que presque toute l’eau s’était évaporée. Il remplit de nouveau la casserole et la remit sur le feu.
— C’est un termite, qu’on dit, lança Tommaso, c’est du masculin ».

15 oct. 2012

Écrire & Fumer (11)

« Saleté de fourmi, qu’est-ce que tu fous dans ma cuisine ? », dit le cerveau de Phil à voix haute, puis, après une ou deux secondes de réflexion, « Qu’est-ce que tu fous sur mon navire ? ».
Le cerveau de Phil se doutait que les fourmis ne se refusaient pas de temps un autre une petite croisière. Elles avaient ainsi pu coloniser des régions du globe où elles avaient décimé et supplanté des espèces indigènes moins coriaces. « Saleté de colonialistes génocidaires », ajouta-t-il. « Et nom de Dieu, j’ai jamais entendu dire qu’il existait des fourmis blanches. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? ».
Le minuteur électronique sonna la fin de cuisson. Le cerveau de Phil coupa le gaz et sortit une à une les cocottes sur le pont où il libéra la vapeur. À cause de la température extérieure plutôt frisquette, les trois panaches de vapeur avaient quelque chose de poesque dans l’immensité subaustrale.
Le cerveau de Phil n’attendit pas que la pression soit retombée. Il enfila sa parka et se dirigea vers la passerelle. Tommaso était spécialiste du plancton végétal, mais il devait avoir quelques notions d’entomologie.
Sur la passerelle étaient présents le second capitaine Erik Hansen, le timonier David « Dave » David et Tommaso Thevet, le planctologiste. Une odeur de tabac froid flottait dans l’air.
« ’lut, dit Dave sans lever le nez de son roman (on l’appelait Dave pour éviter la confusion avec son nom).
— Monsieur Pétun, quelle stupéfiante surprise ! s’écria le second capitaine dans une allitération ostensiblement surjouée, qu’est-ce que notre coq nous mijote aujourd’hui, pas cette horreur de gratin de bettes congelées, j’ose espérer !
— Osso bucco, répondit le cerveau de Phil avec méfiance.
— Osso bucco !, reprit Tommaso en surjouant l’accent italien et sans décrocher ses yeux du sonar.
Erik Hansen chaussa ses jumelles Steiner Commander et scruta l’horizon désespérément vide. Le cerveau de Phil identifia que l’odeur de tabac froid venait des vêtements du second. La chose l’étonna, parce que le second ne fumait pas.
— Que puis-je pour vous, monsieur Pétun ?
— Hum, eh bien, je venais profiter des lumières de monsieur Thevet au sujet d’une… enfin, j’ai trouvé une fourmi dans ma cuisine.
Erik Hansen continua de scruter l’horizon.
— Une fourmi, vous dites, et comment comptez-vous l’assaisonner ?
Le cerveau de Phil sentit qu’il ferait mieux de tourner les talons. Le second capitaine tolérait à peine qu’on vienne sur la passerelle sans raison valable (ce qui restait toutefois la marque d’une certaine ouverture d’esprit comparé au commandant de ce navire). Tommaso était venu consulter le sonar à la recherche d’un éventuel banc de poissons qui annoncerait la présence de zooplanctons, eux-mêmes annonciateurs de phytoplanctons…
— Bon, je pense qu’avec un peu de miellat de puceron, cela pourrait convenir à vos palais délicats. C’est plein de vitamine, paraît-il, quoique j’ignore si les fourmis blanches sont aussi goûteuses que les noires ou moins poivrées que les r…
Le second baissa la paire de jumelles, livide.
— Des fourmis blanches ?
— Coptotermes formosanus…, murmura Tommaso en décrochant du sonar. Son regard avait perdu de son ironique joyeuseté.
— Euh, non en fait, je n’en ai vu qu’une seule, elle a dû embarquer dans le terreau de mes jardinières.
Le second eut le souffle coupé, comme englouti sous une vague scélérate.
— Une seule ! (il avait refait surface) Mais bon sang, Pétun, s’il y en a un, il y en a forcément un million à bord !
— On va tous crever à cause de tes foutues herbes, lança Tommaso.
— Un… un million de fourmis ? Je… c’est dangereux ?, dit le cerveau de Phil avec le sentiment qu’il aurait dû s’abstenir.
— Pas des fourmis !, s’exclama Erik Hansen, des putains de termites !

13 oct. 2012

Écrire & Fumer (10)

Les choses s’étaient passées ainsi. Lors d’une de leur brève discussion à l’occasion du retour de Sabine à la maison (elle venait de passer le week-end chez son père), Sami en était venu à parler d’Edgar Allan Poe en termes peu flatteurs.
Était-ce parce que Sabine avait parlé d’adopter un perroquet et que, de fil en aiguille, les deux hommes en étaient venus à évoquer les corbeaux qui eux aussi sont capables de parler ? Phil-en-entier avait alors cru nouer un début de complicité intellectuelle avec Sami en assurant à sa fille qu’un corbeau serait du meilleur effet et qu’il serait encore du meilleur effet de l’appeler Nevermore…
Sami avait ricané de cette référence prétentieuse à La Genèse d’un poëme. Il avait prétendu que Poe était un médiocre prosateur (il avait dit prosateur, cela avait irrité Phil-en-entier) et que le comble du ridicule avait été atteint avec Gordon Pym, notamment, à la fin du roman, quand émergeait du pôle sud la figure « blanche comme neige » de Dieu. C’était là, avait-il dit avec mépris et condescendance à l’égard du peu de sens critique de Phil-en-entier, une vision coloniale et raciste d’un très mauvais goût. Preuve en était la mort du pauvre sauvage Nu-Nu qui n’avait pas pu supporter la vision de ce Dieu Blanc. Ridicule !
La conversation s’était envenimée. Phil-en-entier avait lâché que les Turcs n’étaient pas les mieux placés pour donner des leçons d’anticolonialisme et qu’il serait peut-être préférable qu’ils commencent par regarder leur propre histoire en face. Après un silence oratoire de deux secondes, Phil-en-entier avait ajouté (car Phil-en-entier cumulait alors emphase et grandiloquence) : « Mais je me trompe sans doute, l’empire ottoman et le génocide des Arméniens sont peut-être de “meilleur goût” (Phil-en-entier avait fait le signe des guillemets avec les doigts) que le supposé racisme de Poe… ».
Sami était devenu livide, avait fermé les poings et avait dit à Phil-en-entier, mâchoires serrées, de sortir de chez lui sur le champ.
Phil-en-entier l’avait regardé fixement, et, mâchoires serrées lui aussi, avait traité Sami de connard. Sabine s’était mise à pleurer. Pénélope était accourue (un fouet à monter les blancs en neige à la main). Sabine avait raconté que son père avait traité Sami de connard. Pénélope lui avait adressé son regard le plus sombre et lui avait dit, en détachant chaque syllabe comme si elle s’adressait à un dangereux crétin (ou à un idéologue) : sors-de-chez-moi.
Phil-en-entier s’était exécuté. Honteux et furieux. Et il avait directement filé au centre commercial s’acheter un exemplaire des Aventures d’Arthur Gordon Pym.

12 oct. 2012

Écrire & Fumer (9)

Le cerveau de Phil rangea le cahier de brouillon et remarqua qu’un fragment de feuille de basilic se baladait sur le plan de travail. Il approcha l’œil et vit que la feuille était portée par une grosse fourmi blanche. « Rends-moi ça tout de suite ! », s’indigna-t-il, saisissant le bout de feuille entre le pouce et l’index et le secouant vigoureusement.
La fourmi refusa de lâcher prise. Elle s’accrochait au bout de basilic avec l’insolence d’un insecte pouvant porter cinquante fois son poids (ce qui est somme toute assez ridicule au regard du bousier qui peut soulever 1.141 fois sa masse, lui dirait bientôt Tommaso). Le cerveau de Phil s’immobilisa, approcha encore l’œil et contempla la fourmi agrippée au basilic. La bestiole ne voulait vraiment pas lâcher prise. Le cerveau de Phil souffla sèchement sur la feuille. La fourmi ne céda pas davantage. Alors, le cerveau de Phil arma l’index et le pouce de sa main gauche et fit charcler l’insecte d’une pichenette olympique. La fourmi fut propulsée contre le mur, roula, et avant qu’il n’ait pu l’achever, la bête s’était engouffrée dans un interstice entre le plan de travail et la cloison en inox.

Le cerveau Phil avait quarante ans (par chance, il avait le même âge, à quelques années près, que son corps). Il devait son engagement de coq sur le Tsibalt à un type qu’il détestait. Mais il devait l’admettre : ce boulot était le meilleur boulot qu’il ait jamais eu l’occasion de faire. Ce type qu’il détestait avait pour nom Sami Kemal, Kemal comme Atatürk ou comme Yachar Kemal, le romancier.
Sami était un brillant universitaire, un brillant romancier (un ou deux crans en dessous de Yachar), et, probablement, un brillant amant. L’ex-femme de Phil-en-entier, Pénélope, lui vouait une adoration sans aucune forme de soumission, un amour sincère, attentionné et tendre. Sami et Pénélope avaient deux enfants, un garçon de quatre ans, Hector, et une fille de six ans, Hélène. Adorables. Sami s’occupait de Sabine, et de ses crises d’adolescente de dix-sept ans, comme il l’aurait fait de sa propre fille, avec fermeté et patience. Sabine adorait son beau-père, même si elle lui réservait de temps à autre ces fameuses colères et bouderies qui émaillent l’ordinaire des relations père-fille, rien de plus.
Phil et Pénélope s’étaient séparés quand Sabine avait dix ans. L’épreuve avait été rude. Surtout lorsque Phil-en-entier avait compris que Pénélope tirait le plus grand bénéfice de leur séparation. Elle avait maigri de quinze kilos, recommençait à prendre soin d’elle et avait repris ses études (inutile de préciser que Sami Kémal était son directeur de mémoire).
Il lui apparut alors que ce n’était peut-être pas lui qui avait quitté Pénélope, mais plutôt elle qui l’avait poussé à la quitter. Pénélope avait préféré céder à la facilité, compréhensible, mais moralement discutable, d’endosser le rôle de la femme bafouée et de la mère trahie plutôt que celui de la femme légère et de la mère indigne…
Ne crois toutefois pas que Sami soit directement en cause dans l’embauche du cerveau de Phil sur le Tsibalt. Sami n’a pas fait jouer ses relations universitaires. Le cerveau de Phil ne l’aurait ni demandé ni permis, et Sami n’aurait d’ailleurs jamais pris cette initiative. S’il lui devait son engagement à bord, c’était indirectement, et sans que Sami n’en eût conscience.

11 oct. 2012

Écrire & Fumer (8)

« On mange quoi, Phil ? », Tommaso avait l’air suspicieux. Le spécialiste des phytoplanctons mangeait une barre chocolatée Lion. Le spécialiste des phytoplanctons était un problème pour le cerveau de Phil. Tommaso avait en horreur les oignons, l’ail et tout ce qui pouvait être crudité, herbes ou salades. Phil le soupçonnait d’avoir choisi cette discipline parce qu’elle lui permettait d’embarquer pour plusieurs mois à bord de navires où, par la force des choses, il était difficile à un cuistot de travailler des produits frais.
« Du plancton », répondit le cerveau de Phil. Tommaso découvrit des dents d’un blanc éclatant et se mit à rugir de plaisir. Il adressa un clin d’œil au cerveau de Phil et se dirigea vers la passerelle.
Le cerveau de Phil poussa la porte de la cambuse et regarda, perplexe, autour de lui. C’était la première fois qu’il mettait les pieds dans sa cuisine.
Le cerveau de Phil savait néanmoins que l’endroit lui serait bientôt familier. Il était « coq » à bord du Tsibalt depuis longtemps (c’est-à-dire avant qu’il fût devant le fait accompli que son cerveau s’était détaché de son corps) et aucune des quinze personnes de l’expédition n’était encore morte de faim. Comme pour le spécialiste du phytoplancton, il connaîtrait instinctivement les goûts et les tabous alimentaires de chacun. Le cerveau de Phil se dit qu’il lui suffirait d’entrer en contact avec les choses et les gens pour saisir leur rôle dans cette histoire.
Trois cocottes Seb sifflaient sur le gaz. Le minuteur électronique indiquait trois minutes de cuisson. Le plan de travail était nickel. Aucun déchet de préparation, aucun couteau, aucun ustensile souillé ne traînait hors de sa place. La passoire était suspendue avec les casseroles en inox, les couteaux rangés sur leur rack magnétique. Un exemplaire des Aventures d’Arthur Gordon Pym était posé à côté de la jardinière à basilic frais.
« Tekeli-li !, chanta le cerveau de Phil avec emphase, voici mon royaume immaculé ! »
La cuisine ne faisait pas plus de neuf mètres carrés mais elle était parfaitement agencée. Le cerveau de Phil huma l’air et distingua une fraîche odeur de sauge et de zeste d’orange. Tommaso allait encore être déçu. Le cerveau de Phil mit la main sur un petit livre de recettes et vit qu’il était corné à la page osso bucco. Il empoigna l’immense casserole, la remplit d’eau et la posa sur le feu, « bordel de Dieu, pensa-t-il, je suis à la bourre. ».
Il jeta une poignée de gros sel et remit le couvercle. Il faisait chaud, le cerveau de Phil ôta sa parka qu’il suspendit à la patère derrière la porte où il reconnut son tablier. Il passa la main sur la toile de coton bleu et le noua autour de ses hanches. Il chercha la sauge du regard et ne vit que la jardinière de basilic. À en juger le fumet s’échappant des cocottes Seb, il ne devait pas s’agir de sauge lyophilisée.
D’instinct, le cerveau de Phil ouvrit le placard à côté de la chambre froide. C’était une chambre du culture hydroponique. Le parfait matériel du cultivateur de cannabis. Sauf que se trouvait là, boostée à l’engrais bio, une bonne demi-douzaine de plantes aromatiques : basilic, sauge, coriandre, persil, ciboulette, menthe et citronnelle… Le cauchemar de Tommaso sous une lampe au sodium.
Le cerveau de Phil se demanda pourquoi il avait sorti la jardinière de basilic de la chambre de culture. Voulait-il en parsemer les penne qui accompagneraient l’osso bucco ? Cela ferait-il bon ménage avec la sauge et le zeste d’orange ? En sa qualité de coq formé sur le tas et se servant encore des béquilles du livre de recettes, il se demanda si ça valait vraiment le coup de sacrifier les rares feuilles encore intactes. Il ouvrit le tiroir sur sa droite, en sortit le petit cahier de brouillon où étaient listés les menus pour chaque jour de l’expédition et, à la date du … , lut qu’il était soigneusement écrit « osso bucco + penne rigate ». Il tourna les pages, et, trois jours plus tard, le cerveau de Phil lut qu’il avait prévu de faire un minestrone. Il serait préférable de garder les dernières feuilles pour la soupe.

10 oct. 2012

Écrire & Fumer (7)


        

                                (hok)














                                                                                 (hok)



putain !

8 oct. 2012

Écrire & Fumer (6)

 (hok)

                                                                   (hok)

Emma Kolinski avait donc été moins sensible au syndicalisme du corps de Phil qu’à son rapport à la cigarette. Bien qu’elle fût intéressée par la question du livre numérique, celle de la rémunération des auteurs n’avait aucune consistance à ses yeux.
Elle était convaincue (bien que n’ayant jamais vraiment pris la peine d’examiner le sujet en profondeur) que la création littéraire devait être séparée des questions d’argent (les autres artistes devant pour leur part être dûment rémunérés).
En vertu de cette croyance universellement (hok) (et paresseusement) répandue, y compris dans leurs propres rangs, les auteurs étaient exclus du droit du travail et se retrouvaient livrés au bon vouloir des éditeurs, et, sans recours réellement possible, sommés de croire sur parole des gens, qui, la plupart du temps, leur jouent du pipeau.
Ainsi, ne bénéficiant ni d’un revenu minimum, ni de droit au chômage, ni de subventions publiques (ou alors « peanuts » par rapport à celles du spectacle vivant), les auteurs représentent, dans la classe des travailleurs intellectuels et artistiques, celle des sous-prolétaires (chose singulièrement étonnante quand on sait que le livre reste le « produit culturel » le plus démocratique, le plus populaire et le plus accessible, et cela, loin devant le spectacle vivant).
En comparaison du statut social des auteurs, celui des « intermittents » du spectacle, terme au demeurant maladroit, et qui recouvre toutes sortes de situations, des plus confortables aux plus précaires, offre de bien meilleurs filets de sécurité. Les gens du spectacle ont, au moins, la possibilité de vivre (même mal) de leur activité. Mieux, en cas de perte de leur travail ou d’empêchement de le faire, ils ne se retrouvent pas, du jour au lendemain, réduits à toucher l’Allocation de solidarité spécifique (ASS).
(hok)
La jeune blogueuse, pourtant très au fait des arcanes du monde de l’édition, avait évacué de son esprit qu’un lot de la production éditoriale française était le fait d’auteurs tâcherons. Et ceux-là avaient le droit, tout autant qu’un musicien de studio, qu’un comédien ou qu’un danseur professionnel ou que n’importe quel autre travailleur, de vivre décemment de leur travail.
Elle reconnut de bonne foi qu’elle n’avait jamais pensé que les auteurs de bouquins de commande étaient des « travailleurs » de l’écrit. Elle finit par convenir, mais sans vraiment s’en affliger, que ces « travailleurs » (les guillemets étaient de son fait) étaient peut-être les seuls au monde à qui l’on refusait sans broncher le droit élémentaire et primordial à être rémunéré.
Le corps de Phil alluma une cigarette. Un affreux hoquet déforma son visage. Myoclonie phrénoglottique. Il proposa à Emma Kolinski de continuer (hok) leur conversation autour d’un ca(hok)fé. Elle lui sourit et le corps de Phil ne la revit pas avant longtemps.
(hok)
(hok)


                                                        (hok)

       
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6 oct. 2012

Écrire & Fumer (5)

Je suis à bord du Tsibalt et je fume, accoudé au bastingage. La cigarette peut durer des heures, mon cerveau n’a pas encore eu le courage d’animer l’image du navire scientifique cloué à la surface de l’océan Antarctique.
Mon cerveau est accoudé au bastingage, vêtu d’une épaisse parka orange (une veste de quart, je crois bien). Mon cerveau grille cette cigarette sans fin. L’image est figée.
Mon cerveau n’a pas encore le courage de laisser cette image s’animer, parce qu’il résonne encore des atroces Tekeli-li !, qui hantent les dernières lignes de l’avant-dernier chapitre des Aventures d’Arthur Gordon Pym.
Peut-être craint-il de se diluer dans la « blancheur parfaite de la neige » qui jaillirait devant lui. Un putain d’écran blanc.
Mais là, vois-tu, j’en ai plein le cul. Je reste à bord du Tsibalt et je jette cette foutue cigarette dans l’océan. La cigarette rebondit sur les vagues en carton. Quelques cendres brûlantes roulent sur la peinture gris foncé du décor antarctique, puis elle s’immobilise sans pouvoir s’éteindre.

Le corps de Phil avait ensuite demandé comment l’éditeur pouvait être aussi confiant alors que le marché était pour le moment inexistant, « peanuts », comme il disait. Il avait renouvelé ses craintes quant à ce que laissaient peser les actuelles conditions contractuelles sur l’avenir proche des auteurs en cas de montée en puissance de la part du numérique dans les ventes d’ouvrages.
Le représentant du SNE avait alors invariablement répondu « faites-nous confiance ». Il disait aussi « c’est très compliqué » quand le corps de Phil lui demandait de montrer les études et les documents sur lesquels l’éditeur s’appuyait, lorsqu’il affirmait, notamment, que l’exploitation d’une œuvre numérique coûtait plus cher que celle d’un livre papier…
La commission n’avait pas été convaincue par les « faites-nous confiance » et les « c’est très compliqué » du SNE.
Le corps de Phil avait alors profité de l’ouverture pour déclarer à la commission que son syndicat n’était pas venu au ministère « pour partager les miettes d’un gâteau virtuel qui n’existait pas encore » mais pour l’alerter sur une question qui n’était autre que la survie matérielle des auteurs.
Mais son insistance dans ce domaine commençait à indisposer les membres de la commission.
Si les conditions contractuelles ne changeaient pas pour les auteurs face à un marché numérique émergeant, avait-il encore plaidé sans se rendre compte que plus personne ne l’écoutait, plus aucun auteur n’aurait la possibilité matérielle de vivre de son travail (les auteurs ne pouvaient guère compter sur les droits accessoires, plafonnés, pour palier la perte de revenus liée à la baisse du prix du livre numérique), ce qui reviendrait à inscrire dans le marbre de la loi que seuls les rentiers et les personnes ayant un métier suffisamment rémunéré, et disposant de beaucoup de temps libre (le corps de Phil avait un peu lourdement sous-entendu « les profs »), pourront accéder à la création littéraire car celle-ci serait devenue de facto une activité bénévole interdite aux classes ouvrières ne pouvant, par définition, sacrifier leur gagne-pain et les cinq semaines de congés destinées à la reconstitution de leur force de travail à une tâche exténuante et non rémunérée. « C’est une certaine idée de la littérature qui est ici en jeu », avait-il pompeusement déclaré.
Phil avait encore évoqué la baisse constatée des avances sur droits (il faudrait diviser le centime en « millimes » pour donner une idée du tarif horaire de la création littéraire) à laquelle était assortie une attitude quasi-esclavagiste des éditeurs, ceux-ci étant non seulement contents de diminuer la rémunération de la création, mais ayant le culot d’exiger des auteurs qu’ils leur fournissent des fichiers numériques prêts à publier sans aucune contrepartie ou compensation financière (alors qu’avant l’ère de l’informatique, la « saisie » du manuscrit était à la charge financière de l’éditeur).
Le corps de Phil vit que les membres de la commission avaient cessé de prendre des notes, mais il continua.
L’injustice était d’autant plus criante dans le domaine de la bande dessinée et de l’illustration jeunesse puisque les dessinateurs et les coloristes fournissent des fichiers prêts à imprimer sans que leurs éditeurs ne les défraient ou ne leur fournissent le matériel coûteux requis par cette tâche qui, effectuée par n’importe qui d’autre, relèverait d’une prestation dûment facturable.

5 oct. 2012

Écrire & Fumer (4)

Emma Kolinski fut impressionnée par le hoquet du corps de Phil. Bien plus que par son compte-rendu. La jeune femme tenait un blog littéraire et avait contacté Phil (du moins, son corps) pour qu’il lui fasse un topo (sous couvert d’anonymat) de l’avancée des travaux de la commission chargée de trouver un accord entre auteurs et éditeurs sur cette épineuse question du livre numérique.
Mon corps ne devrait pas écrire des phrases aussi longues.
Phil et son syndicat d’auteurs agissaient au sein du Conseil permanent des écrivains (CPE) — qui est le « front commun des organisations d’auteur » dans les négociations avec le Syndicat national de l’édition (SNE).
CPE et SNE s’étaient rencontrés de multiples fois autour de la question du numérique, mais chaque rencontre s’était soldée par une fin de non-recevoir des éditeurs ou par une contre-proposition très en-dessous des revendications du CPE (les auteurs demandant en substance de tirer de l’exploitation numérique une rémunération au moins égale à celle du livre papier ; de ne pas céder leurs droits, comme pour le papier, pour une durée de soixante-dix ans après leur mort, mais pour une période renouvelable de trois à cinq ans ; que l’éditeur leur garantisse qu’il n’y aurait pas de modification de leur œuvre, par l’ajout de liens, de musique ou de tout autre élément, sans leur accord explicite ; enfin, que l’obligation légale des éditeurs de procéder à une « exploitation permanente et suivie » soient clairement redéfinie, puisqu’un fichier englouti dans les entrailles du web ne peut raisonnablement pas répondre à cette obligation).
« Nous ne pouvons pas prendre le risque de séparer le contrat du livre papier de celui du numérique, avait dit le représentant du SNE. Imaginez que nous fassions toute la promotion et que l’auteur se réserve les droits numériques ! Nous ne pouvons pas investir en pures pertes ! »
Le corps de Philip pensa, plus tard, qu’il aurait dû répondre « faites-nous confiance », mais il n’était qu’à sa première vraie grande négociation (auparavant il n’avait fait que du lobbying syndical auprès d’une poignée de députés visiblement peu concernés par le sujet).
Le représentant des éditeurs était agacé par l’insolence des auteurs. Ces derniers s’autorisaient à lui demander des comptes, à lui et à ses collègues du SNE, alors que le marché numérique représentait « peanuts » des ventes d’ouvrages (le deuxième représentant du SNE était arrivé avec une demi-heure de retard, interrompant le corps de Philip et la commission par des considérations outrées et peu compréhensibles sur la difficulté qu’il avait eue à trouver la salle de réunion, et sans prendre la peine de s’excuser) : « Je ne vois pas pourquoi vous vous excitez sur le numérique, les ventes sont inexistantes, nous sommes venus ici uniquement parce que nous sommes bien élevés », avait déclaré le premier éditeur, pendant que son collègue trouvait son siège, sous-entendant que les auteurs présents étaient des fanatiques sans éducation.
L’éditeur s’était en outre généreusement gratifié, à plusieurs reprises, de l’épithète « pragmatique » et avait qualifié les syndicats et organisations d’auteurs présents d’« idéologues » (ce qui, dans son langage, signifiait « dangereux crétins »).
« Pour le moment, le marché est inexistant ? C’est aussi ce que disait l’industrie du disque dans les années quatre-vingt-dix », avait répondu le corps de Phil sans relever l’attaque de l’éditeur.
« Le marché basculera un jour ou l’autre, reprit-il. Par votre immobilisme, vous prenez le risque d’imposer à vos auteurs des conditions qui les feront vous fuir à très court terme. Les auteurs n’auront d’autre choix que de se jeter dans les bras d’Amazon ou de Google, lesquels leur font déjà des offres plus correctes. En fait, nous, les auteurs, nous voulons vous empêcher de suicider l’édition française… »
Le corps de Phil aurait dû s’abstenir. L’éditeur sourit, il avait marqué un point.
« Nous touchons en moyenne huit ou dix pour-cent du prix public hors taxe (le corps de Phil était remonté en selle), soit environ un euro et quarante centimes sur un livre à quinze euros, prix public, or, si nous gardons le même pourcentage sur un livre numérique à cinq euros, il ne nous restera que quarante-six centimes par exemplaire vendu, soit une rémunération, pour le même travail, divisée par trois ! »
Merde ! le corps de Phil s’était rendu compte qu’il avait perdu l’attention de plus de la moitié de la commission. Les deux éditeurs jubilaient et le fixaient comme on regarde un idiot empêtré dans une soustraction.
« Trouvez-moi un travailleur qui serait heureux qu’on lui annonce cette bonne nouvelle ! », avait conclu le corps de Phil, un peu piteux (car si le cerveau de Philip avait une fâcheuse tendance à l’emphase, son corps, lui, était grandiloquent).
— Vous vendrez trois à quatre fois plus de livres, vous serez gagnants, au bout du compte…, avait répondu l’éditeur, assuré de sa victoire complète.
— Comment est-ce que vous pouvez nous le garantir ? Nous ne savons rien de ce marché émergeant.
— Faites-nous confiance. »

3 oct. 2012

Écrire & Fumer (3)

À bord du Tsibalt, le cerveau de Phil n’a plus à se heurter au manque de transparence des éditeurs.
Phil-en-entier a publié, sous son nom complet ou sous divers pseudonymes, une quinzaine de livres (c’était au temps où mon corps et mon cerveau ne faisaient qu’un). Au total, d’après les redditions de comptes fournies par les éditeurs (sans aucun contrôle réellement possible, l’immense majorité des auteurs étant tenue de croire sur parole les comptes tenus en leur nom, aucune copie de document d’imprimeur ou de distributeur ne leur étant jamais communiquée), Phil-en-entier aurait vendu quarante-huit mille six cent trente-six exemplaires, tous titres confondus.
Cette comptabilité ne tient registre que des exemplaires « portant droits ». Elle exclut les cessions à l’étranger, pour lesquelles les ventes sont impossibles à chiffrer. Les éditeurs sont censés, par contrat, faire fifty-fifty du produit de la cession avec l’auteur. Mais dans la réalité, le partage des droits se fait selon une autre arithmétique. Une simple soustraction réduit le total à diviser par deux : les éditeurs retranchent du montant à partager certains « frais techniques » générés par la vente (comme la fourniture de fichiers numériques délivrés gratuitement par l’auteur ou les notes de restaurant et d’hôtel engagées par l’éditeur lors de la cession)…
Je tire sur la cigarette et, encore une fois, aucun hoquet.
À titre d’exemple, le corps de Phil a dernièrement perçu 428,43 euros de droits étrangers pour la traduction chinoise d’un de nos bouquins. La Chine est un petit marché. C’est ce qu’il faut croire devant le chèque que le corps de Phil a reçu.
Les quarante huit mille exemplaires « portant droits » font abstraction des titres vendus sur les sites marchands du web sous la rubrique « d’occasion – comme neuf ». Ces ventes-là ne portent pas droits non plus, bien que de toute évidence, ils ne sont pas d’occasion (qui est dupe du « comme neuf » ?). Ils sont « déstockés », souvent en infraction de la loi sur le prix unique du livre et du délai légal de mise en soldes.
Tu auras pu constater, Pénélope, que des nouveautés sont parfois vendues « d’occasion – comme neuf » avant leur sortie en librairie. Tu auras pu constater (rassure-toi, ce n’est qu’une clause de style) qu’il arrive que ces nouveautés soient proposées à des prix supérieurs à celui de l’éditeur.
J’ignore l’ampleur du phénomène, mais je me dis qu’il n’est pas si marginal que ça. Ces vendeurs « d’occasion – comme neuf » ne sont pas des particuliers. Ce sont des professionnels que leurs clients gratifient de dizaines de milliers d’« évaluations positives ».
Mon cerveau en a plein le cul. Voilà son évaluation positive des choses.

Écrire & Fumer (2)


Pourquoi l’Antarctique ? Je ne sais pas. Mon cerveau aime penser qu’il n’est qu’un pet de lapin devant l’infinie hostilité de la nature (mon cerveau a toujours eu cette fâcheuse tendance à l’emphase). Mais c’est toujours moins pénible que d’être un trou du cul face à des lecteurs qui en savent plus long que vous sur le sujet du dernier livre qu’il vous aura fallu écrire dans des délais absurdes (lecteurs dont les rangs clairsemés, pensa le cerveau de Phil, ont toujours été garnis de fous furieux (folles, surtout) prompts à gratifier chacun de ses livres de critiques assassines sur Internet).
C’est aussi moins pénible que de se retrouver comme une merde devant son clavier d’ordinateur.
« “C’est toujours moins pénible que de se retrouver comme une merde face à mon clavier d’ordinateur !”, ah, je te vois soupirer, “cet abruti vient de dire qu’il regardait la vérité en face, et voilà, encore !, qu’il s’apitoie sur lui-même !” ».
C’est désagréable de se voir prêter des propos, c’est vrai, surtout lorsqu’on ne peut pas dire au prêteur de propos le mal qu’on pense du procédé. Mais là, je ne me prive pas, tu vois. J’ai tout autant envie de croire que tu penses : « Mon ex-mari vaut-il vraiment la peine que je poursuive ma lecture ? ». Là-dessus, j’aurais beaucoup de peine à te donner une raison de répondre par l’affirmative, puisque tu as jugé, il y a longtemps, déjà, que je ne valais pas la peine que tu poursuives ta vie avec moi.
À défaut de te donner une raison de me lire, j’aurais souhaité pouvoir t’exposer clairement les tenons et les mortaises de cette histoire, mais elle est encore si embrouillée dans mon cerveau, que j’en suis incapable.
Je ne peux te dire qu’une seule chose : ce texte te révélera peut-être les raisons qui ont poussé mon cerveau à embarquer sur un bateau nommé Tsibalt (même si, je dois l’avouer, j’ai une fois encore négligé la règle de base qui doit précéder la mise en chantier d’un récit : celle qui consiste à commencer par la fin : « S’il est une chose évidente, écrivait Poe, c’est qu’un plan quelconque, digne du nom de plan, doit avoir été soigneusement élaboré en vue du dénouement, avant que la plume attaque le papier. ». Mais cela — l’absence d’un dénouement connu — témoigne, une fois de plus, de l’incompétence de mon cerveau.).

Je vais sur le pont m’en griller une, bouge pas.

2 oct. 2012

Écrire & Fumer (1)


La conséquence avait été la suivante : le cerveau de Phil avait embarqué sur un navire scientifique. Son cerveau portait une épaisse parka fourrée et fumait une cigarette sur le pont.
Le corps de Phil, quant à lui, vivait sa vie (pas si paisible que ça) dans un deux pièces cuisine, un appartement situé sur la rive gauche de Rouen, près de l’église Saint-Sever.
Cela ne s’était pas produit soudainement. Cela avait mûri. Cela avait prospéré. Cela s’était annoncé par divers symptômes, mais Phil-en-entier ne leur avait prêté aucune attention. Un jour, c’était pourtant devenu si évident, si réel, si patent, que l’écrivain ne pouvait plus l’ignorer. Son cerveau et son corps s’était détachés l’un de l’autre.
Le corps de Phil tâcha de poursuivre sa vie aussi normalement que possible. Il réglait les factures et veillait à ce que le frigo soit toujours plein. Mais, une fois le cerveau en dehors de sa boîte d’os, le corps de Phil était devenu syndicaliste. Du genre enragé.
Le corps de Phil parvenait encore, d’un signe de tête, à donner le change aux voisins qu’il croisait dans la rue ou au centre commercial (Phil-en-entier n’avait jamais été très porté sur la conversation, même après dix années dans le même quartier, ce qui — il le savait par Sabine — lui valait l’antipathie d’un nombre conséquent de riverains qui, sachant qu’il avait publié quelques livres, en concluaient qu’il avait « le melon », ou encore, avait « pris la grosse tête »).
Le cerveau de Phil se plut aussitôt à bord du navire, car c’était la première fois qu’une cigarette ne lui déclenchait pas de myoclonie phrénoglottique. Autrement dit, cette cigarette cérébrale ne lui refilait pas le hoquet. Ainsi débarrassé de toute contingence (le corps de Phil ne pouvait pas, quant à lui, fumer sans qu’un hoquet ne vienne en gâcher le plaisir), le cerveau de Phil en conclut qu’il pourrait peut-être, malgré tout, tirer quelque avantage de la situation.
Le navire scientifique (un brise-glace) filait sur la mer de Weddell. Sur les traces de Jules Dumont d’Urville, de Roald Amundsen, de Robert Falcon Scott et de Sir Ernest Shackleton. À l’instar de ses héroïques prédécesseurs, le cerveau de Phil ne s’était pas engagé dans l’aventure sans un minimum de préparatifs. Il avait emmagasiné une dizaine de paquets de tabac, autant de pochettes de feuilles non chlorées et de sachets de mini-filtres. Il avait également pensé à enrôler un équipage.
N’ayant aucune compétence dans les sciences nautiques, comme dans celles océanographiques et polaires, il se promut « coq », c’est-à-dire cuistot du bord.
C’est ainsi que le cerveau de Philip se prit à regarder la fumée d’une cigarette s’élever dans le ciel gris de l’Antarctique. C’était une image toute simple, certes. C’était une image bidimensionnelle, figée, silencieuse (mais, comment dire, elle n’était pas morte). Toutefois, son cerveau l’habitait. Son cerveau l’habitait réellement. Et c’était pour lui une authentique, une véritable libération. Car sous ces latitudes hurlantes, savait-il, il n’aurait plus à se prendre la tête. Il n’aurait plus à se taper le crâne contre les murs, comme du temps où il était Phil-en-entier.
La cause de tous les problèmes de Phil-en-entier, le Problème-Mère, la cause qui, ayant d’abord mûri et prospéré à son insue, et qui avait finalement eu pour effet de le mener à bord d’un navire scientifique, peut se résumer ainsi : Phil-en-entier était un écrivain sans talent.
Pire, Phil-en-entier était un écrivain tâcheron, un de ceux qui pissent des livres de commande, des livres pensés par leurs éditeurs dans le but exclusif de faire, non pas de l’argent (malgré tout, il restait impossible de prédire ce qui marcherait ou ne marcherait pas), mais d’encombrer les tables de librairie.
Voilà, Pénélope, parfois je dirai « il », parfois « je », qu’importe après tout, l’essentiel n’est pas là (bordel de Dieu, étant à la fois mon cerveau et mon corps, je ne sais pas à qui donner du il ou du je). Sache seulement que je/il regarde la vérité droit dans les yeux. Maintenant. Sans ciller.