30 juin 2013

Le Nuage (12)

Car le Nuage avait truqué la Cup
Dit Télémaque et pourtant bidonner
N’est pas facile [LE CHŒUR : chaque burger
Sous le contrôle de la fédération
Est attribué par un tirage au sort
À chaque athlète de la compétition]
Dit Télémaque Antinoos avait fait
Hacher la viande avec quantité d’os
Voilà pourquoi cet Eurymaque avait
Chaussé le masque la sauce pimentée
Les éclats d’os dans les yeux avaient mis
Les concurrents hors jeu [LE CHŒUR : ainsi
Tous avaient-ils en pleurs perdu du temps
Ils se frottaient les yeux tels des bébés !]

28 juin 2013

Le Nuage (11)

Les déléguées avaient joies retrouvées
Se pavanant comme un coq Eurymaque
Dans les travées flanqué de ses deux gardes
Avait ôté son masque de plongée
Lançait clins d’œil engageants bleu lagon
Aux vieilles huiles or bien que je connusse
Pourquoi l’athlète portait un loup me dis :
Oui Télémaque demande au jeune coq
Pourquoi garçon fais-tu l’homme-grenouille ?
Comme toujours le papier bidonné
[LE CHŒUR SE MARRE : quarante-cinq minutes
De culs remués et de mastications]
Hors de question qu’un autre qu’Eurymaque
Gagnât le titre dit l’écrivain [LE CHŒUR :
Les autres gars étaient moins stimulants]

27 juin 2013

Le Nuage (10)

Antinoos stressait dit Télémaque
Certes le jeune Eurymaque avait bien
Chauffé le dôme les PomPom remuaient
Le cul en boucle sans s’arrêter [LE CHŒUR :
Ç’a arraché sous le dôme pâmé
Un gros murmure plein de satisfaction
Les déléguées de la fédération
Des ménagères étaient ravies aux anges]
Tout indiquait qu’elles confirmeraient
Dit Télémaque que la viande Antinoos
Était mangeable finie la carne folle

26 juin 2013

Le Nuage (9)

La courbe rouge fléchissait lourdement
Consommateurs tous boudant la barbaque
Fuyaient l’Œil Rond Antinoos le plus gros
Distributeur de minerai de viande
Avait loué le dôme de cristal
Semi-remorques de sono PomPom girls
Coussins velours stock de sextoys [LE CHŒUR :
Lots pour les dames !] Redonner la confiance
Aux ménagères ! raconte Télémaque
C’était magique en quarante minutes
Et dix secondes Eurymaque vingt ans
Cent trente livres un masque de plongée
Couvrant les yeux avait absorbé cinq
Kilos de chose comestible [LE CHŒUR :
Y en a qui peuvent t’ingurgiter
Onze bananes entières en trois minutes
Et remporter un séjour frais payés
Dans un club med des quartiers vacances
(Le record est de quatre-vingts bananes
En moins d’une heure) mais la réunion phare
C’est la Mamba Hot-Dog Manducation
Ou comme au dôme la Special Burger Cup]

25 juin 2013

Le Nuage (8)

[LE CHŒUR SITUE : À des milles nautiques
La vie est autre tu rejoins maintenant
L’île d’Ithaque aimable clientèle
L’île d’Ithaque est une métropole
D’un million d’âmes (environ) très jalouses
Son taux annuel de croissance est de douze
Virgule cinq pour-cent depuis les temps
Vois Télémaque ce jeune rewriter
Épier son ombre dans la nuit étoilée
Du rewriting il vient d’être viré
Dis-nous beau gars comment c’est arrivé]


Pendant la Cup dit Télémaque amer
Fête sportive rassemblant trente et un
Grands dévoreurs de hamburgers géants
[LE CHŒUR SITUE : au dôme de cristal
Cœur de l’Œil Rond : CINQ KILOS DE STEAK DE
SAUCE QUI PIQUE DE PÂTE FROMAGÈRE
DE PAIN SPONGIEUX pour chaque challenger]
Les éleveurs sortaient à grande peine
De leur troisième crise vétérinaire

24 juin 2013

Le Nuage (7)

Opérateur cher collaborateur
Dit Calypso tes mots me vont au cœur
Sois assuré qu’il m’est très douloureux
De rejeter encore ta demande
Mais n’aie pas peur l’heure n’est pas venue
Dix mois encor te restent de travail forcé
Dix mois encor avant d’avoir soldé
Les trois mil neuf cent trente-huit unités
Et quelques cents de surendettement
Qui t’ont valu délocalisation
Dans nos usines pénitentiaires à l’Est
La manager tendres salutations

21 juin 2013

Le Nuage (6)

Le beau labeur des tueries m’a lavé
Pour tous nos frères qui grouillent sur Ithaque
Je travaille dur remercie le Nuage
Qui a permis que l’excès fût la cause
Inattendue du salut du rachat
Si je devais retourner dans l’abîme
Sans fond là-bas outre-mer le Nuage
Se priverait d’un zélé et dévoué
Collaborateur reçois donc manager
Mes très sincères et vraies salutations

20 juin 2013

Le Nuage (5)

Les vaches arrivent dans l’îlot (un bouvier
M’a raconté qu’on les a habituées
À voyager) les box sont des pièges
De contention truqués en box à traire
Cents portillons se referment sans bruit
(Juste un son mat) une musique douce
Des meuglements innocents et sans crainte
Puis dans un flash cent carcasses sans vie
Prennent la ligne direction épluchage
Évidement fente et eau de Javel
Trois cents six cents par centaines de mille
Belle hécatombe en ré mineur et là
D’un coup j’ai vu : ici ma vie avait
Enfin un sens : mes respects manager
Elles s’envolent patrouille héliportée
Vers nos glorieux découpeurs et moi je
Vis je revis alors je ne veux plus
Jamais jamais retourner au pays

19 juin 2013

Le Nuage (4)

Vétérinaires en pompes visitèrent
Ils déclarèrent : tous nos opérateurs
Sont bien formés ils font du bon boulot
Un abattage bâclé une découpe
À la va-vite pourraient diminuer
La qualité de la viande (Antinoos
En fit les frais il y a cinq années)
D’opérateur j’ai le certificat
Des fiers bovins j’assure l’assommage
Par trois cents têtes les bouviers les convoient
Toutes tuées en moins de vingt minutes

18 juin 2013

Le Nuage (3)

Jetant l’argent sans joie par les fenêtres
Courant l’Œil Rond remplissant mon caddie
J’aurais dû fuir mais au lieu de cela
Je m’enfuyais devant les créanciers
Sans le savoir j’œuvrais pour mon rachat

Je restai sourd aux avertissements
J’avais franchi la ligne rouge j’étais
Transfiguré j’étais un clandestin
Un dos-mouillé un grand surendetté
Là le Nuage m’a délocalisé
Je revenais à la vie pour de bon
Dans la vraie vie car un steak vaut bien mieux
Bien mieux qu’un texte bien mieux qu’un texte bien mieux
Le savais-tu la première fois qu’on
Tue une vache ça ne fait rien que dalle
Non je veux dire la première fois qu’on
Tue trois cents vaches ça ne fait rien que dalle
Les vaches arrivent sur pied vont dans l’étable
Elles planent sont dans une paix intime

17 juin 2013

Le Nuage (2)

[LE CHŒUR SITUE : dans l’îlot vingt et un
Usine trois] mes respects manager
Écrit Ulysse je suis l’opérateur
Huit cinq neuf sept sept trois six six sept huit
Là le Nuage m’a délocalisé
(Un animal jamais je n’avais tué
Ni d’aptitude dans ce domaine montré)
J’en suis heureux d’Ulysse l’existence
Fut effacée des boyaux du Nuage
Mais laisse-moi te dire manager
L’homme nouveau or pour cela je dois
(Mais il m’en coûte) revenir sur celui
D’avant la dette : l’Ulysse qui merda

N’en suis pas fier avant je rewritais
Dans le Nuage (j’étais un spécialiste
Des biographies : votre vie comme si
Proust Houellebecq ou Pierre Bellemare
Homère Hugo Musso l’avait écrite !
J’étais Homère) je pissais des vies de
Ma connaissance de l’îlot vingt et un
Date de là le Nuage avait fait
Organiser un safari pour moi
(Je devais pondre un fascicule sur
L’hygiène et la traçabilité
Des minerais de viande dans nos chaînes
Transformation et réfrigération
Suite au scandale Antinoos) c’était
Très bien payé c’était un bon boulot

14 juin 2013

Le Nuage (1)

Ils les jettent du ciel des hélicos
La mer frissonne grande peau humiliée
[OR LE CHŒUR DIT : usine numéro
Trois l’héliport] parmi les eaux boueuses
Nagez baigneurs aux pieds et poings liés
Chantent les hommes de retour à la base

Le lendemain ils décollent avec d’autres
Corps en vie et encor la mer frissonne

Le capitaine aime au bruit des rotors
Compter leurs gestes abstraits désincarnés
La bouche sombre des baigneurs ils ne les
Bâillonnent pas s’ouvrent et puis se referment
Comme des ouïes sur un billot de coupe

Le capitaine regarde l’océan
Courir sous lui voit un dos de baleine

Quand le Nuage transmet le plan de vol
On ne sait rien des corps en vie qu’on jette
À l’eau salée le capitaine entend
Dans le vacarme ils disent tous leur nom
Le capitaine n’a mémoire des noms

13 juin 2013

Terra incognita : comme une morsure de puma

Oui, le silence est une gangue. Le silence est mat, imbibé, vaincu, pénis flétri, éreinté, dru, le silence est rentré ; il est tout ce fatras, rien en vos viscères formidables n’est séparé, démêlé ; il est le sourd et le sonore, le sinople et le gueules, le lourd et le léger étreints dans une inlassable chevauchée. La parole ouvre [le ventre]. Mais moi, oh non, non, je joins, je ferme, je tue. Je recouds. Mille fois la parole s’est offerte au capitaine Dupré, elle était une femme prête à s’accoupler, dans son rêve de pauvre ivrogne (eh ! je fus mordu par un puma, j’ai vidé la bouteille de Schnaps, qu’auriez-vous fait à ma place ?)… mais il y avait cette gangue si fragile. Un rien peut la déchirer. Je ne bouge pas. Me pardonnez-vous ? C’était un rêve et, dans les rêves, peut-on blâmer un homme de convoiter une femme qui — depuis l’aube du Temps ! — se refuse, chienne — depuis l’aube du Temps !
L’énigme [du rien] est scandaleuse, injustifiable. Elle dépasse l’abominable, elle est en marge du sentiment humain ; la penser c’est se détruire. Bang.
Encore, je reviens à l’écriture ; je ne ressens plus le besoin de me justifier (d’ailleurs l’ai-je jamais connu, ce besoin ; est-il comme le besoin de la défécation, du boire, du manger ?). Le ruban de la machine est sec, usé, éreinté par les coups, les mots se grisent sur le papier. En fait, je vous encule, madame (à sec).

11 juin 2013

AK47 (18)

Avtomat Mike dit : « Je n’ai pas inventé cette arme dans un but lucratif mais uniquement pour défendre notre mère patrie à une époque où elle en avait besoin. Si je pouvais revenir en arrière je referais les mêmes choses et je vivrais de la même manière. J’ai travaillé toute ma vie, ma vie c’est le travail. ».
Avtomat Mike regarde les bibelots de son appartement. Avtomat Mike regarde ses Vermeer et pense à Edwin Beard Budding, le type de Stroud.
Avtomat Mike regarde son vieux Baïkal MP-43 juxtaposé calibre 12. Avtomat Mike pense au fidèle fox-terrier Baïkal qui savait si bien fouiller les broussailles.

10 juin 2013

AK47 (17)

Avtomat Mike a quatre-vingt-treize ans. Il a pris sa retraite de général. Avtomat Mike n’a jamais gagné un kopeck avec son AK47. Une kalach se négocie autour de cinq cents euros en France, mais seule une kalach sur dix vendue dans le monde sort des usines Izhmash, sur la rive sud du lac d’Ijevsk. L’armée russe n’achète plus d’AK. L’AK n’est plus à la mode.

7 juin 2013

AK47 (16)

Les usines Izhmash, près d’Ijevsk, forment un immense complexe gris de dizaines et de dizaines de hangars, au bord du lac d’Ijevsk. Les usines Izhmash fabriquent des machines-outils, des compteurs à gaz, des serrures de sécurité pour armes à feu, des serrures de contact pour automobiles, des winchs, des fraises de dentiste, des couteaux de cuisine, mais aussi des fusils d’assaut, des lance-grenades, des fusils à lunette, des mitraillettes, des armes de poing, des canons antiaériens, des fusils de chasse, des armes blanches pour combat rapproché, des missiles, des radars et des armes de tir sportif.

5 juin 2013

AK47 (15)

Alors Avtomat Mike dit : « Quelque chose de complexe n’est pas utile et tout ce qui est utile est simple. ». L’opulente camarade acquiesce. Le mouvement forme un double menton. La belle camarade dans son costume traditionnel russe acquiesce.
Alors, Avtomat Mike oublie Hugo Schmeisser et le Sturmgewehr 44. Avtomat Mike pense à Edwin Beard Budding, le gars de Stroud. Alors, Avtomat Mike écarte les tulipes. D’un seul et même mouvement fluide, Avtomat Mike brandit une clé à molette.
Ceci, dit-il, est une clé à molette, c’est simple et c’est très utile ! La foule se met à rire, un peu gênée. La clé à molette est l’invention d’un Anglais né à Stroud. Ce n’est vraiment pas un bon exemple, pense le commissaire politique dont nul ici n’ignore l’identité, pourquoi Micha n’a-t-il pas parlé du fusil des usines Izhmash, près du lac d’Ijevsk ?

4 juin 2013

AK47 (14)

Puis, Avtomat Mike fait une courte pause. La jeune femme redresse la tête et réajuste sa frange. L’opulente camarade remet de l’ordre dans les fleurs, des tulipes rouges, des tulipes jaunes et roses.
Avtomat Mike va livrer sa pensée profonde. L’héroïque tankiste de Briansk (à cet instant, Micha, en son for intérieur, est troublé : ce titre de docteur es sciences et techniques, ne l’a-t-il pas usurpé ? Ne doit-il pas tout, en vérité, à l’ingénieur teuton Hugo Schmeisser, le père du Sturmgewehr 44, qui fut déporté pour l’assister lui et ses dessins de pistolets ?) observe la salle sous le regard tutélaire du camarade Lénine.

2 juin 2013

AK47 (13)

Les traits du camarade Lénine sont dessinés dans le plus pur style réaliste socialiste, avec de jolis yeux noisette et un cou musculeux. Le portrait de Lénine est accroché sur un rideau rouge au drapé empesé.
Avtomat Mike parle, debout sur une estrade, derrière une table recouverte d’une nappe blanche. À main gauche, il y a une belle jeune femme en costume traditionnel russe, elle porte des lunettes, elle a l’air de s’ennuyer, la cocotte. Sur la droite de Micha, il y a une opulente dame à la chevelure ouatée, ses avant-bras sont nus et larges. Ses yeux sont perdus et noisette, son cou est large, dans le plus pur style réaliste socialiste. Micha remercie l’Union des républiques socialistes soviétiques et le camarade secrétaire général Brejnev.

1 juin 2013

AK47 (12)

Sous le Secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique Leonid Brejnev, Avtomat Mike est élevé au grade universitaire de docteur es sciences et techniques.
Avtomat Mike a cinquante-deux ans. Il porte une cravate club large et courte, à bandes sombres et claires, un veston mi-saison à trois boutons. Il est débout, le menton haut, les cheveux gris coiffés en arrière, un peu plus longs maintenant — et le camarade Lénine le regarde.